sitti somali

Le conflit frontalier entre les Etats régionaux Afar et Somali d’Ethiopie

Démêler le vrai du faux.

1/ Existe-t-il une frontière reconnue et délimitée entre l’Etat régional Afar et l’Etat régional Somali ?

NON

Le TPLF qui avait pris le pouvoir à Addis-Abeba en 1991 a élaboré une carte provisoire qu’il a ensuite transmise à différents organismes de l’Etat éthiopien à partir de 1995 notamment au département des statistiques. Cependant durant la conférence nationale de 1992 organisée entre le TPLF et les autres fronts comme OLF, ONLF et les représentants des autres communautés (Plus de 80 peuples et nationalités en Ethiopie), il a été décidé que cette carte est bien une ébauche et que les futures frontières seraient fixées par un accord amiable entre Etats régionaux concernés au cas par cas.

Les conflits éventuels seraient transmis au ministère des affaires fédérales et à la chambre haute du parlement éthiopien « House of the Federation ». (Markakis, Vaughan).

Le principe général adopté à l’issue de la conférence de réconciliation de 1992 ayant été le fédéralisme ethnique ou fédéralisme multiculturel, la nouvelle constitution de décembre 1994 a reconnu à chaque peuple le droit inaliénable d’être consulté, par vote, sur son adhésion à tel ou tel Etat régional.
Suite à de fréquents accrochages entre éleveurs Afars et Somali-Issas entre le fleuve Awash et la route goudronnée A1-Djibouti-Addis Abeba, le ministère des affaires fédérales avait demandé aux deux régions en 2004 de soumettre chacune un rapport et des propositions concrètes de résolution du conflit. Les 2 régions avaient bien soumis leurs rapports durant l’année 2004 mais ceux-ci sont restés à ce jour sans réponse officielle.

L’existence de ces rapports est le témoignage concret qu’aucune frontière n’existait entre les 2 régions jusqu’en 2004.

Certains administrateurs de la Zone de Sitti, au sein de l’Etat régional Somali, n’ont eu connaissance de l’existence de la carte des régions éthiopiennes datant de 1992 qu’en 2020…Celle-ci leur ayant été présentée pour la 1ère fois par l’office éthiopien des statistiques au cours d’une réunion officielle…

2/ La carte provisoire des Etats régionaux éthiopiens ci-dessous est-elle officielle ?

NON

Outre son caractère provisoire relatée plus haut elle comporte également de graves erreurs administratives et topographiques.
A ce jour, certaines régions sur la carte comme les « Kebeles » de Banbaas, Salaxaad ou Hudat – tous au sein de l’Etat régional Somali et administrés dûment par cet Etat régional- se trouveraient, selon la carte provisoire des régions éthiopiennes, en territoire de l’Etat régional Oromo….Les mêmes erreurs sont signalées au Benishangul-Gumuz, Amhara ainsi que dans d’autres Etats régionaux.

3/ L’accord de 2014 entre l’Etat régional Afar et l’Etat régional Somali a-t-il une quelconque valeur juridique ?

NON

Cet accord viole les articles 46 et 48 de la constitution éthiopienne de décembre 1994. Il est contraire au nouveau principe fondateur de l’Ethiopie multiculturelle post-1991 où chaque nation, peuple et nationalité est libre de choisir son appartenance ethnique à telle ou telle région au travers d’un vote libre et impartial.

En droit, on parle de hiérarchie des normes. Les normes inférieures (arrêtés, décrets ou accords entre Etats régionaux) doivent respecter la constitution, texte placé au sommet de la pyramide juridique de l’Etat fédéral (Hans Kelsen).
L’accord de 2014 a été dénoncé par l’Etat régional Somali en 2019 et n’est donc plus en vigueur. Il est caduc.
Un éventuel règlement du litige frontalier entre les 2 Etats régionaux. doit passer par des négociations par l’intermédiaire du ministère des affaires fédérales et de la chambre haute dite « House of the Federation ».

4/ Quels sont les revendications des Afars ?

a- Une revendication sur le plan historique

Les Afars s’appuient sur une littérature historique « grise » (masters, thèses, etc.) élaborée sciemment depuis les années 70 par les universités Amharas faisant accroire que les Afars auraient été chassés de la province de Erer par les Somali- Issas dans les années 1950/1970.

Les Afars s’appuient aussi sur la vidéo d’une conférence donnée dans les années 2000 dans un cercle privé par Bouh LAHDIL, un ancien parlementaire Somali￾Issa, fils d’un héros de la région de Sitti. Cette vidéo, enregistrée et diffusée illégalement, brosse une courte histoire de la région de Sitti mais comporte des erreurs de dates importantes. Elle a été traduite délibérément par les Afars en plusieurs langues en la présentant comme une histoire officielle de la région.

Et pourtant :

Au moins en 1838, la présence des Somali-Issas sur la partie sud de l’AWSA (Haoussa) – la zone où se trouve actuellement Semara, la capitale de l’Etat régional Afar – est relatée par le cheik GILANI dans sa « Chronique de l’Awsa 1763-1873», une information rapportée par Didier Morin – un linguiste thuriféraire des Afars – dans son « Dictionnaire historique Afar ».

En 1857, Henry LAMBERT, premier agent consulaire français envoyé dans la région publie, après plusieurs voyages, une carte de la République de Djibouti indiquant la présence des Somali-Issas sur la partie nord du golfe de Tadjourah, bien au-delà du Goubet-El-Kharab.

Enfin en 1880, le plus important document de géographie universelle du XIXème siècle (20 volumes), publié par Elisée RECLUS, rapporte que les deux communautés vivaient en parfaite harmonie, et que les Somali-Issas avaient l’habitude de traverser régulièrement le fleuve Awash « …pour entrer dans les plaines des Danakils ».

Pour régler le litige frontalier entre l’Etat régional Afar et l’Etat régional Somali,il faut partir des réalités et du peuplement de la zone territoriale litigeuse en 1991 comme le stipule la constitution de 1994. Nul besoin de faire appel à un passé lointain dont la certitude des zones de peuplement fera toujours l’objet de controverses.

b- Revendication des Afars sur la base de l’accord de 2014

Cet accord est entaché de plusieurs vices de fond substantiels. D’abord il viole ouvertement les articles 46 et 48 de la constitution éthiopienne, la population concernée n’ayant pas été consultée, comme nous l’avons signalé plus haut.

Ensuite ce peudo-accord signé par seulement quelques membres de l’exécutif (Abdi Mahamoud Omer « Iley », Abdihakim Igal, etc.) du gouvernement de la région Somali n’a jamais été présenté devant le parlement de cette région. Une condition de validité volontairement ignorée – le parlement régional était violemment contre – qui vide ce document de toute légalité et par conséquent de toute légitimité. Par ailleurs, des observateurs de la scène politique en région Somalie d’Ethiopie rapportent que les délégués de cette région auraient signé l’accord provisoire de 2014 sous la double contrainte de Meles Zenawi et de Ismail Omar Guelleh, une contrainte accompagnée d’une forte corruption. Il s’agit donc d’un accord vicié dès le départ par l’usage de la force et de la corruption. Des vices de fond qui ôtent toute validité à ce pseudo-accord.

Enfin l’Etat régional Afar n’a pas respecté les éléments essentiels de cet accord provisoire : Les principales clauses de l’accord portaient sur le fonctionnement des services publics en langue Somali (Education, santé, accès à l’eau, services à la population, etc.) autant de points que la région Afar n’a pas voulu mettre en œuvre. Que du contraire ; une répression aveugle s’est abattue sur les populations Somali-Issas à Adayti, Undhufo et Garba-Isse : Tueries, disparitions, tortures et traitements inhumains et dégradants se succédèrent de 2014 à 2019, année où l’Etat régional Somali a fini par dire que la coupe est pleine et où il décida de dénoncer purement et simplement l’accord provisoire de 2014.

5) Quels sont les revendications des Somali-Issas ?

L’application pure et simple de la constitution éthiopienne de décembre 1994 et l’organisation d’un référendum en faveur de la population locale.

En 2004/2005 des violences intercommunautaires avaient éclatées le long de la longue frontière des Etats régionaux Oromo et Somali. Des référendums ont été organisés par le TPLF à Moyale, Meisso et Jinacsani. A l’issue de ces referendums et conformément à la constitution éthiopienne, l’Etat régional Somali a perdu plusieurs dizaines de « Kebeles » mais s’est conformé sagement aux résultats sortis des urnes.
Pourquoi l’Etat profond éthiopien ne voulait-il pas organiser des référendums à Adayti, Undhufo et Garba-Isse en 2020-2021 ?

Au contraire la force brute a été utilisée en 2021-2022 par l’armée éthiopienne, la police de l’Etat régional Afar et les milices sanguinaires Ugugumo afin de commettre un nettoyage ethnique ponctué de massacres. Une méthode de règlement des conflits contraire à toutes les conventions internationales et dénoncée récemment par le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken en 2021 en pleine guerre entre l’armée éthiopienne et les forces TDF du Tigré.

6) Que veut l’Etat profond éthiopien ?

Eloigner les Somali-Issas de la route commerciale Djibouti/Addis-Abeba.

C’est la seule route commerciale d’Ethiopie située sur une zone frontalière entre deux ethnies. Tous les autres axes commerciaux du commerce extérieur éthiopien transitent par des routes qui traversent l’Etat régional Somali (Tag Waajale, chemin de fer Djibouto-Ethiopien, route asphaltée via Dire-Dawa, route asphaltée via Moyale). Pour l’Etat profond éthiopien c’est l’occasion inespérée d’amplifier les transactions commerciales internationales via un corridor sans Somalis.

Il s’agit d’une politique constante visant à chasser les Somalis de leurs terres mise en place par Hailé Sélassié (1933-1974), continuée par le DERG (1974-1991), par Meles Zenawi du TPLF (1991-2018) et depuis 2018 par Abiy Ahmed de Prosperity Party.

Depuis la guerre de 1977 et la victoire éclatante « blitzkrieg » des Somalis, arrivés en moins de 3 semaines aux portes d’Addis-Abeba, cette communauté fait l’objet de multiples discriminations en Ethiopie. Il faut donc replacer le nettoyage ethnique en cours à Sitti dans cette hostilité plus large à l’égard des Somalis d’Ethiopie.

En plus de cette politique anti-Somali officielle, l’Etat profond éthiopien ne veut ni Afar, ni Somali à environ 20 kilomètres autour de la route commerciale Djibouti-Addis Abeba.

Rien ne sert donc aux Afars de faire la fête sur les réseaux sociaux après le départ forcé – Kalachnikov de l’armée éthiopienne sur la tempe – des Somali-Issas d’Adayti, Garba-Isse et Undhufo respectivement en avril 2021, juillet 2021 et août 2022 (un départ provisoire). Les Afars aussi seront vite chassés des lieux.

7) Pourquoi l’Etat profond éthiopien et le premier ministre Abiy Ahmed prennent-ils position en faveur de l’Etat régional Afar?

A partir du 3 novembre 2020 une guerre ouverte et destructrice a éclaté entre le gouvernement éthiopien du premier ministre Abiy Ahmed et l’Etat régional Tigré, une guerre civile interne qui a fait de milliers de morts et, à ce jour, toujours en cours (Septembre 2022).

C’est la position géographique de l’Etat régional Afar limitrophe de l’Etat régional Tigré qui a été déterminante, à notre sens, dans la prise de position claire et nette d’Abiy Ahmed en faveur des Afars dans le conflit frontalier avec leur voisins Somalis.

En effet, l’Etat régional Afar sert de base arrière (avec l’Etat régional Amhara), de zone de regroupement des forces armées nationales, de lancement d’offensives et d’attaques à l’armée fédérale éthiopienne durant le conflit armé mené contre l’Etat régional du Tigré.

En conséquence, depuis novembre 2020, l’Etat régional Afar bénéficie de l’appui militaire sans limites de l’armée fédérale éthiopienne afin de mener une politique d’agression et d’expansion en territoire Somali en échange du soutien fourni à l’armée fédérale éthiopienne. Les opérations de nettoyage ethnique et les massacres de masse commis à Adayti, Undhufo et Garba-Isse en 2021 et 2022 ont ainsi toutes été supervisées par l’armée éthiopienne.

8) Quels sont les forces en présence le long de la route commerciale A1 Djibouti/Addis-Abeba ?

D’un côté l’armée fédérale éthiopienne (ENDF), la police bien armée de l’Etat régional Afar appuyés par d’anciens rebelles Afars qualifiés avant 2018 de « terroristes » tant par l’Ethiopie que par l’Erythrée (Red Sea, Arduf, Ugugumo) et regroupés aujourd’hui sous le sigle « Ugugumo » et aux méthodes barbares. Des forces qui utilisent des moyens militaires lourds mis à disposition par l’armée éthiopienne ; des chars, des « Technical » surmontées de mitraillettes lourdes, des mortiers, des canons, etc.

Face à cette puissante coalition militaire étatique ou infra-étatiques nous avons des civils Somali-Issas très peu organisés vivant près des agglomérations de Adayti, Undhufo et Garba-Isse ainsi que des éleveurs disposant de vieux fusils datant de l’époque des Italiens. Les rares unités de la police de l’Etat régional Somali ont ordre de ne pas intervenir. Ces unités de la police Somali, dont la haute hiérarchie est complice du nettoyage ethnique de leurs frères, sont parfois décimées lors des affrontements par méconnaissance du terrain.

9) Exite-t-il une preuve récente de l’appartenance des « Kebeles » de Adayti, Undhufo et Garba-Isse et des localités environnantes à l’Etat régional Somali ?

OUI

Preuve que ces zones de peuplement contestées par l’Etat régional Afar appartiennent depuis des décennies à l’Etat régional Somali, le NEBE (Organisme national chargé des élections en Ethiopie) a publié en mars 2021, conformément aux 5 précédentes élections législatives, la liste des localités et des bureaux de votes de tous les Etats régionaux éthiopiens en vue des élections législatives de juin 2021.

Garba-Isse, Undhufo, Adayti, Danlahelay, Afasse et une dizaine d’autres localités autour de ces villes ont été, comme d’habitude, placées dans la liste des bureaux de vote administrés par l’Etat régional Somali.

Immédiatement, l’Etat régional Afar et ses relais Amharas ont lancé une intense campagne médiatique afin de dénoncer l’attribution de ces bureaux de vote à l’Etat régional Somali accusant injustement le NEBE de parti pris. Cet organisme n’a pourtant fait que suivre les pratiques électorales antérieures remontant à 1992.

Sous la pression médiatique et politique et le contexte de la guerre civile interne avec le Tigré qui favorise l’alliance ENDF, Afar & Amhara, le NEBE a fait marche arrière et suspendu l’organisation des élections dans les zones de peuplement Somali faisant l’objet d’une contestation de la part de l’Etat régional Afar.

Ceci a naturellement provoqué une réaction courroucée et légitime du président de l’Etat régional Somali, Mustafa Mouhumed Omar « Cagjar », qui a échangé une correspondance acrimonieuse avec la présidente du NEBE (Une Amhara) en mars 2021, menaçant même de boycotter ces élections législatives.

10) Quel est le rôle de Djibouti dans ce conflit interne éthiopien ?

De 1991 à 2012, le régime dictatorial d’Ismail Omar Guelleh, très proche du défunt premier ministre d’Ethiopie Meles Zenawi, a tout fait pour infiltrer, affaiblir et contrôler la communauté Somali-Issa établie dans la province de Sitti d’Ethiopie afin d’assurer la pérennité de son propre régime. Il perçoit les Somali-Issa d’Ethiopie comme une menace potentielle susceptible d’apporter un soutien à une opposition djiboutienne qu’il s’est employé à affaiblir durablement.

Contrairement aux affirmations des Afars répétées en boucle dans les réseaux sociaux, Ismail Omar Guelleh est plus préoccupé par la survie de son propre régime affairiste et laisse, quand il n’encourage pas, les Afars Djiboutiens de haut rang de son régime autocratique financer ouvertement les miliciens Afars barbares Ugugumo, chargés conjointement par l’armée éthiopienne et la région Afar d’Ethiopie de pourchasser les éleveurs Somali-Issas à la frontière des deux régions éthiopiennes.

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Elmi Yabeh

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