Nous, la diaspora Issa d’origine éthiopienne résidant en Europe, en Amérique du Nord et en Australie avons l’honneur d’adresser ce présent mémorandum au gouvernement fédéral de l’Éthiopie pour attirer son attention sur la situation dramatique de la communauté Issa d’Ethiopie.
Par le présent document, nous voudrions vous faire part de notre indignation face à la manière brutale, autoritaire et anti constitutionnelle dont le gouvernement fédéral est en train de régler « la dispute sur les terres » entre les Afars et les Issas dans les localités de Gadmalu, Undufu et Aydaytu.
Depuis quelques semaines, des troupes fédérales se sont installées dans ces localités et se sont livrées à des graves exactions contre les citoyens Issas habitant cette zone : arrestations arbitraires de leaders traditionnels et des responsables administratifs, confiscation illégale et abattage de cheptel, destruction de maisons et d’installations, intimidation et humiliations gratuites de toutes sortes.
Les troupes fédérales dirigées par un officier Afar, connu pour son animosité contre les Issas, ont ordonné aux habitants Issas de se soumettre à la décision du gouvernement de transférer ces localités à l’Administration Afar ou de quitter les lieux au plus vite. Ainsi, l’Armée fédérale qui était censée assurer la sécurité et la paix entre les citoyens, avec la plus grande impartialité, se trouve instrumentalisée, emmenée à provoquer des troubles inutiles et à envenimer la situation en prenant parti pour l’Administration Afar dans une vielle dispute de territoire entre deux communautés voisines. Aucune confrontation violente ne justifie cette opération de l’armée.
Cette intervention qui a semé la peur et soulevé la suspicion des populations vis-à-vis des forces fédérales, a aggravé la condition déjà déplorable et injuste dans laquelle les habitants Issas de cette zone se trouvent depuis plusieurs décennies. En effet, le gouvernement fédéral avait déjà imposé à cette population des mesures contraires à toutes les législations mises en place par les nouveaux dirigeants de l’Ethiopie.
Parmi ces mesures qui sont au demeurant indignes d’un Etat soucieux de ses citoyens, il y a l’interdiction de construire une habitation, ou même de réparer une maison endommagée par la pluie ou le vent, de creuser de nouveaux puits, de construire une école ou un centre de santé rural, et ce tant que le litige sur les terres ne serait pas réglé.
Seules les puissances coloniales avaient imposé de telles mesures pour punir collectivement les populations autochtones qui refusaient leur domination. Comment le nouveau gouvernement en place à Addis Ababa qui avait condamné avec fermeté les politiques de domination et répression des régimes précédents peut-il perpétuer de telles pratiques d’un autre temps alors qu’il prétend mettre l’Ethiopie sur la voie du développement pour tous ? Comment peut-on fermer les points d’eau existants, empêcher d’en creuser et laisser ainsi mourir de soif une population pastorale menacée par la sécheresse et pour laquelle l’administration régionale ne fait déjà rien? Comment peut-on maintenir dans l’ignorance les enfants de ces populations en leur refusant l’accès à l’école alors que l’Ethiopie souhaite atteindre les objectifs du Millénaire ?
Ces mesures inexplicables à tous points de vue constituent des actes criminels au regard des instruments nationaux et internationaux de droits humains. Alors que la situation était déjà grave dans cette zone et que des négociations étaient en cours entre les Afars et les Issas, le gouvernement fédéral a pris une décision unilatérale, sur la base d’une étude tronquée et orientée, en attribuant les localités susmentionnées aux Afars.
Ce faisant, le gouvernement fait le contraire de ce qui est proclamé dans le préambule de la charte du 22 juillet 1991 (Transitional Period Charter of Ethiopia), où il est clairement indiqué que la disparition de la dictature militaire « marque la fin d’une ère d’asservissement et d’oppression » et que désormais « commence un nouveau chapitre de l’histoire de l’Éthiopie au cours duquel la paix, l’égalité des droits et l’auto-détermination de tous les peuples, seront les principes régissant la vie politique, la vie économique et la vie sociale, contribueront ainsi au bien-être des peuples d’Éthiopie et les délivreront de siècles d’asservissement et d’arriération ».
Plus grave, le gouvernement fédéral viole de manière flagrante sa propre Constitution qui a prévu des dispositions claires pour régler de manière légale et constitutionnelle les disputes des terres entre les différentes communautés de la Fédération. Plusieurs articles de la Constitution fournissent la base juridique pour un tel règlement dans le cadre de la loi éthiopienne.
Concernant les localités de Gadmalu, Undhufo et Adayti, pourquoi le gouvernement fédéral agit-il autrement et contre sa propre loi ? Pourquoi attiser la division et la haine entre deux communautés qui partagent beaucoup de valeurs et qui ont toujours trouvé une solution à leurs différends en utilisant leurs méthodes traditionnels de résolution des conflits ? Pourquoi n’avoir pas donné les moyens nécessaires au comité qui avait été mis en place il y a plusieurs années pour trouver un consensus entre les protagonistes et pour résoudre durablement cette dispute ?
Pourtant, c’est la voie constitutionnelle que le Gouvernement fédéral avait suivie pour régler la dispute qui avait éclaté entre la région oromo et somalie autour de 500 Wareda et Kebele. Un referendum a été organisé pour demander les populations concernés de choisir à quelle région elles souhaitent rattacher leur localité. Bien que l’organisation ait été entachée de multiple irrégularités commises par l’administration oromo et contestée par la région somalie, tout le monde a fini par accepter le verdict des urnes : 400 Wareda et Kebele ont été attribués à la région oromo et 100 à la région somalie.
Cette politique de « deux poids deux mesures » ne peut s’expliquer que par la tentative de justifier l’accaparemment par des investisseurs nationaux et étrangers des terres fertiles le long du fleuve Awash et de compenser les Afars qui en sont victimes par des expropriations des localités habitées par des Issas. C’est une politique irresponsable qui constitue une menace pour la paix et la coexistence entre les peuples.
A la lumière de ce qui précède, nous, Diaspora Issa d’origine éthiopienne résidant en Europe, en Amérique du Nord et en Australie, soucieuse de trouver une solution durable entre les deux communautés voisines Afars et Issas, condamnons fermement l’intervention militaire dans les localités de Gadmalu, Undufu et Aydaytu et les exactions contre les populations Issas menées par les troupes fédérales éthiopiennes.
Nous considérons que la décision de transférer ces localités à l’Administration de la région Afar est contraire aux dispositions constitutionnelles et viole les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes reconnus par la Constitution. Cette décision qui conduira à chasser des familles entières de leur lieu de résidence va à l’encontre de cette Constitution qui stipule que « Nul ne peut être expulsé du territoire de l’état dont il est le ressortissant ». La pratique de transfert forcé de population est considérée aussi comme une grave violation du droit international qui, notamment par le statut de Rome statuant la Cour Pénale Internationale (CPI), qualifie clairement « la déportation, le transfert forcé de population et l’installation des colons comme des crimes de guerre ».
Nous sommes extrêmement inquiets des graves conséquences que les décisions illégales et arbitraires concernant cette affaire peuvent avoir sur la paix et l’entente entre les communautés mais aussi sur la sécurité dans toute la région.
Nous craignons que le désespoir et le désarroi poussent les populations injustement exclues et chassées de leurs lieux d’habitation à des actes pouvant perturber le trafic routier et les échanges commerciaux dans la région.
Nous craignons tout autant que des répressions disproportionnées et discriminatoires contre ces populations puissent instaurer un cercle vicieux de violence qui ensanglantera cette zone déjà gravement touchée par la pauvreté, la famine et la maladie.
En effet, alors que le reste du pays semble connaître un développement socio-économique palpable, la zone habitée par les Issas est plongée dans une misère indescriptible, reste défavorisée et cumule tous les records du sous-développement (taux effrayant de mortalité infantile, d’analphabétisme, manque d’eau, absence de structures élémentaires et surtout de perspectives pour les jeunes). L’Etat y est pratiquement absent et ne se manifeste que par ses opérations militaires ou policières, manquant ainsi à toutes ses autres obligations.
Pour un gouvernement fédéral qui se targue d’avoir réussi à transformer profondément le pays et d’être « l’une des économies les plus dynamiques dans le monde au cours de ces dernières années », il est regrettable de constater que cette croissance ne profite nullement à certaines des nationalités qui composent la fédération.
Nous dénonçons que les populations issas continuent à souffrir de discrimination en raison de préjugés hérités des guerres entre la Somalie et l’Ethiopie et que leur loyauté envers leur pays est encore questionnée par certains administrateurs fédéraux.
Considérés comme des citoyens de seconde zone, leurs revendications sont rarement prises en compte. Dans la dispute sur les terres les opposant aux Afars, le gouvernement fédéral a constamment pris parti pour ces derniers, méconnaissant les réalités économiques, écologiques et socio-culturelles sur le terrain, rejetant les Issas dans la catégorie essentialiste « d’envahisseurs » et négligeant de faire l’arbitrage impartial souhaité.
Nous exhortons le gouvernement fédéral à stopper l’occupation militaire des localités de Gadmalu, Undufu et Aydaytu, à rendre le cheptel et les biens confisqués, à relâcher les personnes qui ont été injustement arrêtées.
Nous lui demandons à mettre en place un Comité constitué des différents acteurs (leaders communautaires, représentants des deux administrations régionales concernées et du gouvernement fédéral, et arbitres indépendants d’autres régions etc) pour reprendre les consultations nécessaires en vue de trouver une solution durable permettant aux deux communautés Afars et Issas de vivre en paix et dans l’entente.
Nous sommes convaincus que les communautés sœurs Afars et Issas qui partagent une longue histoire pourront trouver une solution à leur problèmes, si elles sont guidées par des leaders éclairés et conscients des véritables enjeux et défis du développement de leurs communautés.
Nous espérons que cet appel au dialogue sera entendu par le gouvernement fédéral, dans le respect de la Constitution du pays qui offre le cadre adéquat pour régler ce type de litige.