L’économie de l’Ethiopie connaît depuis 2002 une forte croissance économique de l’ordre de 8 à 10% par an selon les sources. Le capitalisme d’Etat éthiopien longtemps dirigiste s’est ouvert timidement à l’économie de marché au début des années 2000. L’autoritaire premier ministre Meles Zenawi qui a dirigé le pays d’une main de fer de 1991 à 2012 mis en place pour la période 2010-2015 un Plan de croissance et de transformation « Growth & Transformation Plan (GTP) » axé principalement sur des investissements massifs dans l’énergie, les infrastructures et le développement d’une agro-industrie destinée à l’exportation.
Sur le plan hydroélectrique deux grands barrages sont sur le point d’être finalisés : le « Grand Ethiopian Renaissance Dam » d’une capacité de 5300 MW sur le Nil bleu et le GIBE III (1870 MW) sur le fleuve OMO, le but étant de quadrupler la capacité du pays de 2000 à 10000 MW d’ici 2016.
Le plan de croissance et de transformation a également entraîné le développement, certes modeste, mais inédit du secteur privé. L’homme d’affaires saoudien d’origine éthiopienne Mohammed El Amoudi, très bien introduit auprès du régime, a été le premier à injecter entre 2 et 3 milliards de dollars dans des secteurs de l’économie aussi divers que l’agro-industrie, l’extraction de l’or, le textile ou l’hôtellerie. Le Sheraton d’Addis-Abeba, un des plus luxueux palaces au monde, en est l’un de ses fleurons.
Le faible coût de la main d’œuvre attire de plus en plus d’investisseurs étrangers tant occidentaux que chinois. Le numéro 2 mondial du prêt-à-porter H&M s’est implanté en Ethiopie depuis 2011 et travaille avec plusieurs unités de production locales alors que le fabricant de chaussures chinois Huaijan y a ouvert plusieurs usines.
A travers le GTP, le gouvernement planifie la réduction des petites exploitations agricoles familiales et favorise au contraire l’implantation de grandes fermes agricoles étrangères s’étendant sur plusieurs milliers d’hectares et tournées vers l’exportation.
Malheureusement cette politique plus connue sous son appellation anglaise « Land-grabbing » ou accaparement de terres est menée au pas de charge sans la moindre consultation des fermiers locaux souvent chassés de leur terre manu militari. En effet l’Ethiopie est l’un des pays du tiers-monde à s’être lancé aux côtés de pays africains comme le Gabon, Madagascar, le Mozambique, la Zambie ou asiatiques tels que le Cambodge, l’Indonésie ou les Philippines dans la politique dite du « land-grabbing » à la demande de pétromonarchies ou des pays émergents (Arabie Saoudite, Brésil, Chine, Corée du sud, Inde, Israël, Qatar, etc.).
Cette politique consiste à vendre ou à mettre en location (entre 30 et 99 ans) à des Etats ou des fonds d’investissements étrangers d’immenses hectares de terres arables sans le consentement des populations autochtones et dans la plus grande opacité. L’anthropologue Jon Abbink, spécialiste de la Corne de l’Afrique, estime que l’Ethiopie est en tête des pays qui bradent leurs terres « In Africa, Ethiopia is at the forefront of handing out land ». D’ores et déjà plusieurs milliers d’hectares ont été alloués pour la production de riz, canne à sucre ou fleurs destinés à l’exportation.
Dès 2008, la FAO s’est inquiétée de cette ruée vers les meilleures terres africaines notamment dans des pays comme l’Ethiopie encore loin de l’autosuffisance alimentaire. Jacques Diouf, son directeur général d’alors, n’avait-il pas dénoncé « le risque d’un néo-colonialisme agraire » ?
A Madagascar la signature d’un contrat de location sur une superficie d’1,3 millions d’hectares avec le Sud-Coréen Daewoo Logistics avait été à l’origine de manifestations monstres ayant entraîné la chute du gouvernement en mars 2009.
A la fin des années 2000, le gouvernement éthiopien décida de déplacer 1,5 millions de personnes dans quatre régions : Gambela, Afar, Somali, et Benishangul-Gumuz. L’expropriation des terres et un programme de « villagisation » forcée des fermiers et des nomades y débutèrent en 2010 dans la province du Gambela et dans la vallée de l’OMO avec des conséquences dramatiques pour les peuples indigènes. Selon les recherches menées sur place par Human Rights Watch dans la province de Gambela où plusieurs dizaines de milliers de personnes ont été forcés de quitter leurs foyers et où 42% des terres ont déjà été confisquées : « la politique de déplacements forcés met en péril le fragile équilibre sur lequel repose la survie de nombreuses personnes dans la région. Les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire sont précaires à Gambela.
Les éleveurs se voient contraints d’abandonner leurs sources de revenus, qui reposent sur le bétail, pour des cultures sédentaires. » Des fermiers interrogés n’ont pu cacher leur désarroi « Nous voulons que le monde sache que le gouvernement (éthiopien) amène le peuple Anuak ici pour mourir. Ils ne nous ont apporté aucune nourriture, ils ont donné nos terres aux étrangers pour qu’on ne puisse même pas revenir ». De fait, plusieurs milliers d’Anuak et de Nuer ont trouvé refuges dans des camps au Kenya. Human Rights Watch, Survival International et l’Oakland Institute font état de violations massives des droits de l’homme (déportations, viols, détentions arbitraires, traitements inhumains et dégradants, disparitions, etc.) à l’encontre des populations autochtones (Bodi, Kara, Kwegu, Nuer, Anuak, etc.) tant dans le Gambela que dans la vallée inférieure du fleuve OMO où le barrage GIBE III est en voie de construction.
Dans la droite lignée du processus de déplacement forcé entrepris dans le Gambela et la vallée de l’OMO, le gouvernement éthiopien s’est attaqué, à partir de juin 2014, à la région Somali d’Ethiopie et plus particulièrement aux villages de Gadhmalu, Undufo et Adaytu, des localités proches du fleuve Awash. Cette zone riche en terres arables est située le long du chemin de fer Addis-Abeba/Djibouti et peuplée par les Issa (une tribu somalie). Malgré une résistance farouche de la population locale et l’organisation de multiples manifestations par la diaspora Issa en Europe, la déportation des habitants a déjà commencé avec l’intervention brutale de l’armée éthiopienne. Ici un conflit territorial artificiel entre les Etats fédérés Afar et Somali a été utilisé comme prétexte par le gouvernement éthiopien pour mettre en œuvre son plan de déportation des nomades autochtones Issa.
En violation flagrante de l’article 46 de la constitution éthiopienne qui stipule que les limites territoriales entre Etats fédérés respectent le consentement des peuples concernés : « States shall be delimited on the basis of…language, identity and consent of the peoples concerned », le gouvernement éthiopien met en œuvre une répression aveugle à Gadhmalu, Undufo et Adayti. Au surplus, divers problèmes de frontières entre Etats fédérés sont apparus depuis l’entrée en vigueur de la constitution éthiopienne en 1995 et la majorité ont pacifiquement été résolus par le recours au référendum. Ce fut notamment le cas à Mieso et Babille dans les woredas (districts) et Kebeles (arrondissements) faisant l’objet de litige.
Malheureusement des dizaines de morts et de blessés par balles dont Mohamed Dageyeh, Aden Bouhdil, Houssein Guireh Ainan, Habiba Ainan, Ahmed Ali Iliyeh ainsi que de nombreux disparus parmi lesquels Moussa Hassiliyeh, Hoche Ainan, Bouh Robleh, Igueh Guedi, Hassan Farah sont à déplorer. L’armée assiège toujours la zone et des mesures punitives comme l’interdiction de l’accès aux puits et les arrestations arbitraires des personnalités deviennent la norme. Le 25 Novembre 2014, Gouhad Aden, Ali Moussa, Hared Hassan et Ahmed Nour Abdillahi, principaux chefs coutumiers de la communauté Issa sont arrêtés. Aux termes d’un procès expéditif digne des Kmers rouges caractérisé notamment par l’absence d’un avocat de la défense ils sont condamnés à 3 ans de prison ferme ; les seize jeunes accusés d’avoir entravés leur arrestation se voient infliger quant à eux 2 ans de détention à Jigjiga, la capitale de l’Etat fédéré Somali. Les principaux responsables politiques de cet Etat fédéré comme Abdi Mahamoud Omar, le président, ou M. Abdi Hakim , l’un de ses vice-présidents, sont complices de cette sinistre politique répressive.
En Ethiopie, les déplacements forcés et la déportation des peuples indigènes de leurs terres ancestraux suscitent de plus en plus de critiques et de plaintes judiciaires. C’est ainsi que la La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, principale autorité en matière de droits de l’homme sur le continent africain, a appelé en novembre 2013 à la suspension du processus de relocalisation forcée de milliers d’autochtones d’Ethiopie. La Commission a demandé à l’Éthiopie le gel de la réinstallation forcée des tribus de la vallée inférieure de l’Omo le temps qu’elle achève son enquête sur les allégations de violations des droits de l’homme. Le 14 juillet 2014, un tribunal londonien a jugé recevable la plainte d’un fermier originaire de Gambela -représenté par le cabinet d’avocat international Leigh Day- qui affirme qu’une partie de l’aide publique au développement du Royaume-Uni en faveur de l’Ethiopie a servi au programme controversé de « villagisation » forcé l’ayant contraint à l’exil.
Les Etats-Unis et l’Union Européenne doivent s’assurer que l’aide publique au développement consentie à l’Ethiopie – plus de 3 milliards de dollars par an – serve en priorité à promouvoir le droit à la vie et à l’autosuffisance alimentaire de la population éthiopienne plutôt qu’à enrichir des fonds d’investissements spéculatifs.